Alcuni brani:
Quelques extraits:
- Un écrivain qui hait les métaphores, c'est aussi absurde qu'un banquier
qui haïrait l'argent.
- Je suis sûr que les grands banquiers haïssent l'argent.
Rien d'absurde là-dedans, au contraire.
- Et les mots, pourtant, vous les aimez ?
- Ah, j'adore les mots, mais ça n'a rien à voir. Les mots, ce sont
les belles matières, les ingrédients sacrés.
- Alors la métaphore, c'est la cuisine - et vous aimez la cuisine.
- Non, monsieur, la métaphone n'est pas la cuisine - la cuisine c'est la syntaxe.
La métaphore, c'est la mauvaise foi ; c'est mordre dans une tomate et affirmer que
cette tomate a le goût du miel, ensuite manger du miel et affirmer que ce
miel a le goût du gingembre, puis croquer du gingembre et affirmer que
ce gingembre a le goût de la salsepareille, après quoi...
- Mais si. Vous savez, il y a toujours une poignée de désoeuvrés, de végétariens,
de critiques novices, d'étudiants masochistes ou encore de curieux, qui vont
jusqu'à lire les livres qu'ils achètent. C'étaient ces gens-là que je voulais
expérimenter. Je voulais prouver que je pouvais impunément écrire le pires
horreurs à mon sujet : cet acte d'autoaccusation, comme vous le formuliez
avec justesse, est rigoureusement authentique. Oui, mademoiselle, vous aviez
raison d'un bout à l'autre : dans ce bouquin, aucun détail n'est inventé.
On pourrait bien sûr trouver des excuses aux lecteurs : personne ne
sait rien de mon enfance, ce n'est pas le premier bouquin affreux que
j'écris, comment imaginer que j'aie pu être si divinement beau, etc.
Mais moi, j'affirme que ces excuses ne tiennent pas. Connaissez-vous la
critique que j'ai lu dans un journal, il y a vingt-quatre ans, concernant
Hygiène de l'assassin ? "Un conte de fées riche de symboles, une
métaphore onirique du péché originel et, par là, de la condition humaine."
Quand je vous disais qu'on me lisait sans me lire ! Je peux me permettre d'écrire
les vérités les plus risquées, on n'y verra jamais que des métaphores.
Ça n'a rien d'étonnant : le pseudo-lecteur, bardé dans son scaphandre,
passe en toute imperméabilité à travers mes phrases les plus sanglantes.
De temps en temps, il s'exclame, ravi : "Quel joli symbole !"
C'est ce qu'on appelle la lecture propre. Une invention merveilleuse,
très agréable à pratiquer au lit avant de s'endormir ; ça calme et ça ne salit
même pas les draps.
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